CHABIN ou CHABEN, Gaston Germain CALIXTE dit
"CHABEN". Chanteur traditionnel
guadeloupéen. Très bon parolier, avec des
textes d'une grande recherche naturelle et
d'une grande originalité. Chaben avait un
sens inné pour improviser avec une poésie
caustique des chansons retraçant le
quotidien des Guadeloupéens. Avec "Zombi
baré mwen", "Mwen sé la central",
"Robertine"....Il parle avec un grand humour
des scènes de la vie ordinaire
Guadeloupéenne. Surnomé à juste titre "poète
des mœurs de la Guadeloupe", il était un
véritable maitre des veillées mourtuaires
traditionnelles Guadeloupéennes. Merci à lui
pour ce qu'il a laissé à la Guadeloupe et
que son âme repose en paix...
« Gaston Martine Germain – Calixte est né le
1er février 1922 dans la commune de Port – Louis. Son père,
Adrien – Léopol Valéry Germain – Calixte dit « Pilo »,
cordonnier - tanneur vit avec sa mère Gracieuse Fitaffe,
couturière. Celle - ci est née dans cette
même commune en 1894. La famille Calixte habite à l’entrée d’un
lakou du quartier Rambouillet, non loin de la Croix. À l’age de
10 ans, Chaben vit seul avec son père.
Auparavant, sa mère aura quitté ce dernier pour un autre homme
vivant à quelques mètres de la maison familiale. Deux ou trois
ans plus tard, le père meurt, suivi peu de temps après par sa
mère. lI est ensuite renvoyé de l’école. Il a 14 ans. Livré à
lui – même et à la vie active, sa sœur aînée lui rend visite le
week – end. Ses amis de toujours, Chacha et
Joffre, l’initient donc à la pêche pour
subvenir à ses besoins.
Puis, à partir de la période dite « Tan Sorin » (durant la
Seconde Guerre Mondiale), inscrit en tant que marin pêcheur,
Chaben est mobilisé en 1942 sur le bateau militaire
« Jeanne d’Arc ». à la fin de la guerre en 1945, il revient à
Port-Louis. Malgré les différents tumultes naturels et sociaux,
il traversera les années, semble – t – il, en gagnant sa vie
relativement bien. Mais sa vie personnelle sera quand même
jalonnée d’évènements assez mouvementés. Gaston Germain
Hommage
à Gaston Germain CALIXTE dit « CHABEN »
Cela faisait un an
presque jour pour jour que j’étais revenu « définitivement » en
Guadeloupe après de longues années d’études. Mais je savais au
plus profond de moi-même, que c’était là une perte immense pour
la culture et la mémoire port-louisienne, et au delà pour la
mémoire guadeloupéenne.
Pourtant, j’ai eu
l’immense chance de « profiter » de Chaben, dans ce qui allait
être la dernière année de sa vie. Pas une semaine, autant que je
me souvienne, entre avril 1986 et mars 1997, ne se passa sans
que je ne rende visite à Lé Chab. Seul ou avec mon épouse,
j’allais au quartier dit Rambouillet, « owa kwa la » (vers la
croix), là où il habitait.
Il était comme
souvent, je devrais dire comme toujours, assis sur une chaise,
avec un slip « type slip de bain » et une veste d’un vieux
costume, largement ouverte. Son éternelle pipe à la bouche ou
dans la poche.
Ah cette pipe
légendaire ! Il la bourrait toujours avec une cigarette, qu’il
cassait en deux. Il y a très longtemps, je me souviens que
c’était des cigarettes « Job », mais là c’était des « Gitane »
sans filtre.
Je me souviens en
particulier de ce jour là, en pleine fête de Port-Louis, en
juillet 1986, ma première fête de Port-Louis après mon retour
« définitif », toute la population de Port-Louis était devant le
podium de la fête dressé sur la place de l’église. Concours de
chant au micro, steel-band, et autres festivités classiques
battaient leur plein. Avec mon épouse nous avons pris la
direction de Rambouillet vers la croix. Chaben était assis là
comme à l’accoutumée, en veste et en slip, sa pipe à la bouche.
-NEG : Wop
Lé Chab, é zafè ? Ou ka sonjé mwen ?
(Bonjour Chaben,
comment vas-tu ? Tu te souviens de moi ?)
-Chaben :
Ka ou ka di la Ti Gordien. A pa vou ki té pati fè la Mèdsin an
Fwans ? Koman ou vlé an pa sonjé-w. Sé-w ki Toto. Papa-w menm
laj ki mwen.
(Alors petit
GORDIEN, Comment veux-tu que je t’oublie ? N’est-ce pas toi qui
es parti étudier la médecine en France ? C’est toi Toto. Ton
père a le même âge que moi.)
J’étais assez
étonné et en fait très très content qu’il puisse se souvenir de
moi avec autant d’exactitude.
En fait c’était
assez normal, car depuis mon départ à Paris pour études en 1975,
tous les ans à chaque retour en vacances, avec toute une bande
de jeunes, nous allions chercher Chaben à Rambouillet, et nous
chantions avec lui sur la place Antilles face à l’église de
Port-Louis, dos à la mer. Nous avions une tactique infaillible :
il suffisait qu’une femme, une de nos sœurs ou de nos cousines
soit présente, « une pourperette » comme il aimait à les
appeler.
C’est dans ces
rencontres quasi rituelles, avec toute la bande, Anselme, Yves,
Baba, Jaki, Jean-Claude, Léo, Franki, Pierre dit « Lè- Lò- La »
et tous ceux que j’oublie, que nous avons passé des moments que
nous ne savions pas encore exceptionnels.
C’est là que j’ai
appris tout le répertoire de Lé Chab, que j’ai découvert le
poète visionnaire, le peintre des mœurs de notre petite société,
bref un véritable « Griot » conteur de paroles.
J’ai appris par
cœur toutes les chansons de Chaben. Et chez moi, je m’entraînais
à les chanter toutes.
Donc en fait, ni
lui ni moi, n’avions oublié ces rencontres systématiques tout au
long des vacances passées au pays.
Ce jour de juillet
1986, je lui présentai ma femme, à qui il sera la main.
-
Chaben : Ou mayé avè on bèl « pourpèrèt ».
Zòt ké fè bèl timoun.
(Tu as épousé
une bien belle “pourperette”. Vous aurez de beaux enfants)
-NEG : An ja tin twa. Mi dé gason jimo an-mwen
fèt an mwa novanm lanné pasé. Yo ka kouri asi on lanné.
(J’en ai trois.
Mes deux jumeaux sont nés au mois de novembre dernier. Ils
auront bientôt un an).
Nous avons ensuite
parlé de tout et de rien, de la vie pendant plusieurs heures.
Chaben nous raconta sa vie, son enfance, sa vie de pêcheur,
d’artiste, sa malchance avec les femmes, avec le « Show
business ».
-Chaben :
Apwé tout chanté la ou vwè an chanté la, pa menm lajan a on
bisiklèt pa rété an men an mwen
(Après toute
cette carrière de chanteur, je ne peux même pas m’offrir une
bicyclette).
C’est ce jour là
aussi que nous avons appris que le chanteur qui avait suscité sa
vocation était … Tino ROSSI.
-Chaben : Boug
la té tini on bèl vwa tann on ! I té ka chawmé lé dèmwazel
(Il avait une
voix d’or qui charmait les femmes).
Chaben a commencé
sa « carrière » en chantant des romances. Mais fils du peuple
profond, c’est dans la musique populaire qu’il se réalisa. Le
déclic lui vint au cours de ces soirées « Léwoz o komandè »
organisées par un certain Monsieur Chòbòk, de son surnom. C’est
là qu’il découvrit un chanteur de Gwoka, ouvrier originaire des
Abymes et qui travaillait à l’usine Beauport. C’est avec lui
qu’il apprit le Gwoka. Il prit même des leçons qu’il payait en
poissons.
Chaben me confia
ce jour là qu’il avait composé 26 nouvelles chansons, mais qu’il
ne les chanterait à personne, car toute sa vie on lui a volé ses
chansons, même en Martinique me disait-il, où il devait se
rendre pour enregistrer ses disques dans les années 1960. Des
journalistes et autres chanteurs défilaient chez lui,
magnétophone en poche, et quelques mois après il entendait à la
radio ses propres mélodies chantées par d’autres.
Ce jour là de
juillet 1986, Chaben nous fit à ma femme et moi notre plus beau
cadeau. En effet, à trois, lui, ma femme et moi, avons entamé
plusieurs chants de son répertoire : Chaben chantait, ma femme
était « répondè » et moi je faisais « boulagyèl ». Et, dans son
élan de tendresse, il me récita, sans me chanter la mélodie, les
paroles d’une de ses nouvelles compositions.
Chaben, notre
monument, est mort avec ses 26 nouvelles chansons. Il a
par-dessus tout, me semble-t-il, développé la « mélodie Gwoka »
dans toute sa splendeur et sa richesse.
Ce que nous ne
savons pas ou peu, c’est que cette « mélodie Gwoka » ne se joue
pas dans la gamme « do, ré, mi, fa, sol, la, si » connue de
tous, mais dans une gamme à cinq notes modale et atonale
découverte à la fin des années 1960 par le musicien Gérard
Lockel et appelée « gamme Gwoka ».
Nous les jeunes de
Port-Louis de l’époque avons la chance d’avoir en tête plusieurs
de ces mélodies non enregistrées.
Je mesure
aujourd’hui le privilège que j’ai eu d’avoir côtoyé, d’avoir
chanté avec Monsieur Germain CALIXTE.
C’est tout
naturellement, qu’avec Yves, Jaki, Baba, Anselme, Bernard, … et
tous les autres que nous l’avons accompagné début mars 1987, à
sa dernière demeure, au cimetière de Port-louis, tout au bout de
la plage du Souffleur.
Nous lui avons
chanté plusieurs morceaux de son répertoire juste avant la mise
en terre, histoire de lui signifier que nous défendrons son
héritage, que nous essaierons de perpétuer sa mémoire.